En me lançant dans l’autoédition, j’ai découvert avec stupéfaction une source incroyable de talents littéraires, dont la plupart sont inconnus du grand public. Certains viennent du milieu éditorial classique tandis que d’autres sont passés directement à l’indépendance. Certains n’utilisent que KDP, le système d’autopublication d’Amazon, tandis que d’autres passent par des plateformes comme Lulu ou BoD (books on demand), certains encore utilisent plusieurs systèmes, sont à la fois indé et publiés en maisons d’édition, ou travaillent avec un imprimeur. Certains ont une boutique sur leur site internet, d’autres font des salons littéraires, en bref, il n’existe pas de voie unique lorsqu’on est indé, mais un champ des possibles quasiment sans limites et qui n’en est sans doute qu’à ses débuts.
Ce que Fabien Raimbault appelle « l’âge d’or des écrivains » ? Peut-être ! Je brûle de vous faire découvrir cet auteur sensationnel qui frappe très, très fort avec sa saga des Odysséens. Dans cette interview, Fabien vous parle de lui, de ses romans, de KDP, de ses projets. Ancien chef d’entreprise et pionnier de la robotique Française, fan d’Arthur C. Clarke, d’Asimov et des Rolling Stones, il a donné de nombreuses conférences, notamment aux Utopiales de Nantes, et il dynamite la SF sans que le microcosme pourtant actif de ce genre ne semble s’en émouvoir. Une grave erreur que je souhaite contribuer à réparer avec cette entrevue !
Place donc à Fabien Raimbault.

ED : Bonjour Fabien ! Je te remercie d’avoir accepté de répondre à mes questions. A l’occasion de la sortie prochaine de ton nouveau roman, le tome IV des Odysséens, tu inaugures une série d’interviews mettant en avant les auteur.es autoédité.es. Pour débuter de manière traditionnelle, je vais te laisser te présenter.
FR : Tout d’abord, bonjour à tous. Je suis incroyablement heureux de répondre à toutes ces questions de même que d’être le premier à intervenir dans cette toute nouvelle rubrique.
Parisien de naissance âgé de bientôt 43 ans, cela fait désormais 11 ans que je vis dans un petit village à 20 kilomètres au nord de Limoges. La venue au monde de notre premier enfant a été, pour mon ex-femme et moi, comme une révélation : Nous désirions offrir à notre enfant un cadre de vie paisible loin des tumultes de la ville.
Niveau études… Je crois qu’on peut dire que, d’une certaine façon, j’étais un élève extrêmement brillant ! En effet, j’ai passé 3 fois le brevet des collèges (oui, j’aimais beaucoup le programme de troisième) mais, comme j’adorais aussi la classe de Terminale, j’ai décidé de passer aussi trois fois le baccalauréat S spécialité biologie. En fait, à cette époque, j’étais surtout intéressé par les filles et les flippers… Mais aussi la programmation ! Je crois qu’aujourd’hui on me qualifierait de « geek » même si je pense que je n’en étais pas un, selon l’image stéréotypée que l’on se fait d’eux. Concrètement, je passais mes journées avec ma copine à jouer au flipper et mes nuits à programmer. Fort heureusement, il y avait les quelques cours où je décidais de me rendre pour dormir.
Sur un malentendu, j’ai réussi à intégrer un BTS informatique de gestion en alternance et, alors que je ne mettais jamais les pieds en classe, j’ai obtenu (du premier coup cette fois-ci), 20/20 à l’examen final.
En effet, depuis le plus jeune âge, je suis passionné par l’intelligence artificielle et je menais de mon côté mes propres recherches qui, certains peuvent en témoigner, ont débouchées sur des résultats significatifs pour l’époque.
Bref, après deux années passées en tant que prestataire de service informatique, je suis entré dans une grosse boite de statistiques médicales avancées pour finir par diriger une petite équipe un peu fofolle d’une dizaine de personnes. Oui, nous étions des sortes de Géo Trouvetou, mais on soulevait des montagnes avec trois fois rien. Progressivement, nos algorithmes d’analyse heuristique devenaient de plus en plus complexes et performants… Jusqu’au moment où, avec deux amis et collègues, on a décidé de monter une association spécialisée dans l’intelligence artificielle et la robotique, l’association Caliban (qui est aujourd’hui une association majeure du domaine). De fil en aiguilles, notre association qui regroupait plusieurs dizaines de membres s’est vu ouvrir les portes de salons prestigieux. Bien vite, nous nous sommes rendu compte que ce que nous fabriquions le soir sur la table de la cuisine avec pratiquement aucun budget n’avait rien à envier à certains laboratoires prestigieux et/ou grandes entreprises. C’était une période exaltante de ma vie.
Faire jeu égal avec des mastodontes industriels à partir de trois bouts de ficelles et quelques centaines de milliers de lignes de code, oui, on trouvait ça terriblement cool.
Puis, avec certains membres de l’association Caliban, nous avons décidé de créer Cybedroïd , une société dédiée au développement de robots humanoïdes de service. Mes associés ont décidés de me suivre à Limoges car mon ex-femme et moi voulions nous mettre au vert (pour la naissance de notre premier enfant) mais aussi nous rapprocher de mes parents et beaux-parents. Pour résumer succinctement, les astres se sont alignés et tout tendait vers cette ville (volonté, opportunité, origine, possibilité…etc.).
Durant presque 8 ans, j’ai vécu un rêve avec l’aventure Cybedroïd mais, malheureusement, un investisseur foireux a fait que nous avons dû mettre la clé sous la porte alors que nous étions sur le point d’atteindre nos objectifs.
S’en est suivi une période de remise en cause, doublée d’une séparation.

C’est alors que j’ai décidé de donner corps à un autre de mes rêves : insuffler la vie à ces « Odysséens » sur lesquels je bossais en dilettante depuis plus d’une vingtaine d’années et qui traitent de toutes mes passions (l’intelligence artificielle, la biologie, la musique, l’histoire, la conquête spatiale ou encore la robotique sans oublier « 2001, l’odyssée de l’espace » et l’œuvre globale d’Isaac Asimov).
ED : Tu es donc écrivain de Science-fiction. Un genre qui regroupe de nombreuses sous-catégories : Space opera, cyberpunk, hard science, militaire, uchronie, etc… Comment qualifierais-tu tes Odysséens ? Peux-tu nous en parler, sans trop dévoiler l’intrigue ?
FR : Je ne sais pas vraiment comment qualifier le « cycle des Odysséens ». S’il est indubitable que la majorité de l’histoire se déroule dans le cadre d’un Space-Opéra, je pense que, surtout à partir du tome 2, l’histoire se mêle aussi avec le style hard-SF teinté d’une bonne dose d’uchronie. Un mélange des genres.
C’était une volonté de ma part de planter les bases d’une aventure épique dans le tome 1, à la Star Wars ou StarTrek, pour revenir sur des considérations plus proches de nous dans les tomes qui suivent.
Comme l’a si justement fait remarquer un de mes lecteurs, les Odysséens sont tout sauf un récit choral. Je ne peux qu’être d’accord avec lui.
J’ajoute que les Odysséens forment aussi une multitude d’histoires à travers le temps (et non un voyage dans le temps) qui se mêlent et s’entremêlent. Certains personnages sont liés malgré les millénaires et la distance qui les séparent.

Sans trop en dévoiler, je peux juste vous dire que les Odysséens sont la biographie d’un des personnages, et pas forcément celui qu’on attend au départ. Les lecteurs des trois premiers tomes ont l’air d’avoir fortement apprécié de découvrir, petit à petit, qui en est le personnage central. Aujourd’hui, ils ont soif d’en savoir plus sur le personnage en question.
Alors je suis content.
ED : Tes fans doivent d’ailleurs attendre que tu nous présentes ta dernière sortie, le tome 4 des Odysséens !
FR : Je ne pense pas avoir de fan. C’en serait même terriblement gênant.
Mais effectivement, « Les Odysséens » pour leur part, semblent commencer à avoir une sorte de fan base et je m’en réjouis.
Donc oui ! La pression est même très forte, et ce n’est pas à toi que je vais expliquer cela, sortir un nouveau roman se fait à la fois dans la joie et la douleur. Quand le tome 2 est sorti, des lecteurs anonymes m’ont contacté pour me dire qu’il était bien meilleur que le premier. Puis quand ça a été au tour du tome 3 de sortir, davantage de lecteurs se sont mis à m’envoyer des mails ou me contacter sur Facebook pour me dire qu’il était bien supérieur aux précédents… Avec ce tome 4, j’angoisse énormément de l’accueil qui lui sera fait et je croise les doigts pour qu’il bénéficie de la même côte d’amour que ses grands frères. À tout le moins, qu’il soit leur digne successeur.
Bref, j’ai peur de décevoir.
Cependant, et j’en suis le premier étonné, des lecteurs me contactent spontanément pour me faire part du fait qu’ils se sont attachés aux Odysséens. Ils ont hâte de lire le tome 4. Alors, pour les plus impatients, je leur envoie les chapitres au fur et à mesure que je les valide (j’accorde un importance toute particulière à la cohérence de l’intrigue, et cela nécessite un lourd travail de vérification et de validation en plus de celui d’écriture et de correction).
Ce que je juge assez encourageant, c’est qu’aussi bien les relecteurs que ces lecteurs impatients à qui je fournis ce tome 4 en avant-première (dont certains ont postulés pour être relecteurs de mon prochain livre) me disent tous que ce tome 4 est meilleur que le tome 3, qui pourtant est considéré jusqu’à présent comme le meilleur de la saga.
Je veux à tout prix éviter de construire une saga qui se dégraderait de volume en volume. Il semble que pour l’instant, au contraire, elle s’améliore de chapitre en chapitre.
À titre personnel, ce tome 4 est aussi mon préféré, et de loin, mais c’est là un avis très subjectif et personnel. En fait, désormais, je pense avoir trouvé mon style, mon rythme et la dynamique que je veux donner à ce cycle. Pour résumer, disons que je ne me cherche plus… Je sais désormais ce que j’ai à faire et surtout ce que j’aime faire.
Oui, je sais que ce tome 4 est à priori très attendu et j’en suis très heureux même si cela me met une certaine pression.
Mais j’aime écrire en étant sous pression.
Et puis je pense être, de tous ceux qui l’attendent, le plus impatient de tous !
ED : Selon mes sources (elles sont fiables), tu cartonnes avec ta saga des Odysséens, qui est un best-seller. En réalité, je peux même te dire que tu surpasses beaucoup d’auteur.es Français, publié.es pour certain.es dans de grosses maisons d’édition. Est-ce que tu imaginais rencontrer un tel succès quand tu t’es lancé ?
FR : Je pourrais la jouer modeste… Mais honnêtement, j’ai toujours nourri de grandes ambitions pour les Odysséens. Comme nous sommes amis, je ne vais pas te mentir.
Je travaille sur ces livres depuis plus de 20 ans et j’attendais le bon moment pour en faire une version définitive. La faillite de ma société combinée aux confinements à répétitions et ma séparation ont fait que… C’était le bon moment !
Ce qui est actuellement publié est la troisième réécriture d’une histoire qui, à l’origine, s’appelait « La menace » que j’avais rédigé entre 1999 et 2001. A la base, ce n’était qu’un seul et unique roman. Puis je me suis attaché aux personnages et à l’intrigue… Alors, petit à petit, j’ai décidé d’approfondir tout cela car, moi-même, je voulais en savoir plus. Cela a débouché sur une trilogie intitulée « A 2000 années lumières de chez soi ». Puis j’ai voulu en savoir encore plus sur ces personnages… Alors, durant l’été et l’automne 2020, je l’ai entièrement remanié. Le résultat n’est autre que « Les Odysséens » dont le premier tome est sorti au printemps 2021.
Concernant le succès qu’ils rencontrent, j’en suis évidemment plus que ravi et je dois avouer que cela est très gratifiant. Je n’osais en rêver même si, secrètement, je l’espérais.
Effectivement, voir que « Les Odysséens » côtoient dans certains classements des œuvres que j’admire est une magnifique récompense.
C’est comme un rêve éveillé qui me donne une force incroyable et une envie de poursuivre et d’avancer. Chaque matin, depuis plusieurs mois, quand je me lève et que, en buvant mon café, je vois que les trois premiers tomes des Odysséens sont dans le top 10 Amazon en catégorie « grand courant SF » ou encore « Space Opéra », aux côtés d’Asimov ou Herbert, alors je respire un grand coup et je reprends la rédaction/relecture/correction/modification du chapitre en cours avec un sourire idiot figé sur mes lèvres (dixit mes enfants).
ED : Comment expliques-tu cette réussite ?
FR : Je pense qu’il y’a plusieurs raisons à cela. Si la plupart ne sont que des suppositions de ma part, l’une d’elle est absolument certaine et tient en cette phrase : « Rhaaaa, c’est du Raimbault tout craché ! L’emphase des grandes envolées lyriques, encore et toujours »
Oui, comme j’étais mauvais élève au collège, j’ai atterri en internat pour ma classe de seconde. Là, j’ai rencontré un professeur de français absolument incroyable : Monsieur Rignault.
Il est à noter que bien que cancre, j’ai toujours beaucoup lu et aimé écrire.
Ainsi donc, ce professeur n’avait de cesse de me réprimander tout en me rendant mes copies. Il affirmait avec force que j’avais un style pompeux, présomptueux même… Que je cherchais à imiter des auteurs tels que Zola ou Hugo. Je me sentais insulté, vexé.
Puis un soir, ledit professeur m’a attrapé entre quatre yeux et m’a dit : « Raimbault, vous écrivez bien et ce que vous racontez est intéressant. Mais, par pitié, écrivez ce que vous avez à écrire puis, une fois ceci fait, réécrivez-le en remplaçant toutes les virgules pas des points. Tout ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ».
Encore aujourd’hui j’applique ce conseil à la lettre de sorte que je suis ému quand je reçois des messages de lecteurs me disant que la lecture des Odysséens est facile et agréable.
Certains se vexent quand on leur dit qu’ils écrivent simplement. Moi, je prends cela pour un compliment et je pense à Monsieur Rignault, parti trop tôt.
Sinon une explication probable est que je vis mes personnages. J’entends par là que je les côtoie depuis si longtemps que c’est comme s’ils avaient pris vie. Je raconte l’histoire d’individus qui sont pour ainsi dire des membres de ma famille.

Enfin, et c’est une chose importante à mes yeux, j’adore jouer avec le lecteur. Chaque chapitre comporte son lot de rebondissements et il n’est pas rare que je me fasse traiter de tous les noms d’oiseaux possibles et imaginables (dans le bon sens du terme) par des lecteurs. Je sais que la fin du tome 3 (à la couverture si décriée, mais jugée comme étant la seule et unique possible pour ceux qui en ont lu les vingt dernières lignes de ce volume) a énormément marqué, ce qui induit cette impatience pour le tome 4 de la part des lecteurs (ainsi que la mienne).
ED : Revenons un peu en arrière. Lorsque tu as achevé le premier tome des Odysséens, est-ce que tu as immédiatement envisagé de passer par l’autoédition ?
FR : Absolument pas !
Je voulais le proposer à des grandes maisons d’éditions. Alors du coup, j’ai fait comme tous les écrivains en herbes : je leur ai envoyé le manuscrit du tome 1.
Refus, refus, refus, refus…
Puis il fut accepté.
Tout content, j’ai fêté cela jusqu’à temps que je comprenne qu’il s’agissait en réalité d’une maison d’édition à compte d’auteur (l’auteur paye pour être publié et non le contraire).
Je les ai envoyés balader et j’ai persévéré.
Refus, refus, refus, refus…
Jusqu’à ce qu’une vraie maison d’édition à compte d’éditeur (c’est eux qui payent l’auteur pour avoir le droit de le publier le bouquin) me renvoie un avis favorable. Mais en terminant de lire leur courrier, je suis entré dans une colère noire. Non seulement je devais leur céder tous les droits contre un paquet de chips et une bouteille de soda, mais ils désiraient aussi que je modifie l’intrigue, cette intrigue sur laquelle je travaillais depuis 20 ans, pour en faire un One shot. Les éditeurs ne publient pas un primo auteur s’il rédige une saga.
Or moi, je suis incapable de faire tenir les Odysséens en seulement 80 000 mots.
Alors j’ai regardé ce qui se faisait du côté de l’autoédition.
J’ai découvert KDP.
Je me suis aussitôt dit : « c’est ça qu’il me faut ».
Je me suis renseigné plus en détail, de sorte à exploiter au mieux ce merveilleux outil d’autoédition. Utiliser correctement KDP représente certes un surcroit de travail, mais je n’ai pas à payer pour être édité, je n’ai pas à travestir mon intrigue pour satisfaire un comité de lecture et en plus de cela, et c’est loin d’être négligeable, ça paye très correctement.
ED : Dans le cadre de des tes anciennes activités, tu donnais des conférences aux Utopiales et tu étais connu dans le milieu de la robotique. N’aurait-il pas été facile pour toi d’approcher un éditeur français?
FR : Franchement, je ne sais pas. Fût un temps où j’avais une réputation dans le domaine de la robotique. Fondamentalement je suis un technicien, un programmeur ou encore un chef d’entreprise, et cela ne me donnait aucune légitimité auprès des éditeurs.
Pour eux, j’étais une machine à rédiger des business plan… Et selon eux, c’est là une chose bien loin des romans ! Alors que justement, les milliards de milliards de business plan que j’ai rédigé sont, d’une certaine façon, des romans. Il faut raconter une belle histoire (et non des histoires) aux investisseurs pour qu’ils décident de placer trois ronds dans une société.
Concernant les conférences, j’en ai donné effectivement un paquet, mais être un bon orateur ne signifie pas être un bon écrivain.
Non, définitivement, mon expérience dans le milieu de la robotique et de l’évènementiel ne m’a absolument servi à rien pour partager avec vous les Odysséens.
Seul Frederic Boisdron, rédacteur en chef de la revue « planète robot » et ayant rédigé la préface du tome 1, ainsi que des relecteurs, m’ont aidé. Le reste, si les Odysséens rencontrent effectivement un petit succès, ils ne le doivent qu’à eux seuls.
ED : Parle-nous un peu de ta vision du milieu littéraire. Ce qu’entre nous, tu as appelé « l’écrivain 2.0 » Qu’entends-tu par-là ?
FR : Écrivain 2.0…
Je vais m’aventurer à quelques métaphores pour exposer les choses telles que je les vois :
Les gens vont de moins en moins au cinéma et se font des soirées « binge watching » sur des plateformes de streaming telles que Netflix ou Disney+. D’autres, sinon les même, ne vont plus chez Darty pour acheter un aspirateur mais commandent en ligne sur Amazon. On va de moins en moins au restaurant alors qu’on se fait livrer des plats gastronomiques, ou même de la mal bouffe, par Deliveroo. Les taxis sont en voie de disparition, écrasés par le service Uber. Les friperies sont incapables de tenir la distance face à Vinted. Les brocantes de villages se vident de leur substance car on trouve tout sur « le bon coin ».
Le monde a changé.
Il en est de même pour le monde de l’édition.
Cela ne veux pas dire que je cautionne. C’est juste un constat.
Aujourd’hui, l’immense majorité des lecteurs ne va plus chez le libraire, à la Fnac ou dans les salons littéraires pour choisir un livre, même si certains continuent (et c’est une bonne chose qu’ils continuent, je ne peux que les soutenir). Mais il est clair que les choses ne sont plus pareilles depuis quelques années. Le paradigme a changé. Désormais, une grande partie des lecteurs « consomment » sur liseuses numériques de sorte que, à présent, la donne est bien différente pour les auteurs. Ils n’ont plus besoin de passer par un comité de sélection qui décidera, au bout de six mois ou un an, si oui ou non le roman correspond à leur ligne éditoriale, si oui ou non il présente de l’intérêt ou bien même comment il doit être distribué, ou à quel tarif et selon quelles modalités de propriétés intellectuelles.
Oui, les auteurs vivent un âge d’or où ils peuvent soumettre directement à l’appréciation des lecteurs ce qu’ils ont pondu. C’est une véritable révolution dans la façon de partager la connaissance… Des auteurs totalement libres et indépendants. J’irais même jusqu’à comparer cela à la révolution de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg. Il avait libéré les auteurs des copistes. Des systèmes comme KDP et autres libèrent les auteurs des comités de sélection.
Des auteurs sont frustrés de ne pas avoir été sélectionnés par le comité d’une maison d’édition. Ce fût mon cas. Aujourd’hui je n’en ai cure.
Des gens lisent « Les Odysséens » au Canada, aux USA, en Australie, en Allemagne, en Angleterre et même en Amérique du sud, ou encore à Taiwan… Et tout cela, je le gère depuis le fauteuil de mon bureau dans ma petite maison perdue elle-même dans la campagne limousine.
C’est ça, être un Écrivain 2.0.
Être libre de faire ce que bon nous semble. Je crois que jamais une telle liberté n’a existé pour l’expression d’idées, qu’elles soient fictives ou réelles. Les seuls juges, ce sont les lecteurs.
Et cela me va très bien, étant entendu que j’écris pour eux et non pour un comité me demandant de modifier mon intrigue, tout en me dépossédant de mes écrits, pour que cela colle à leur ligne éditoriale.
ED : Lorsque j’étais invité à des salons littéraires, les jeunes me demandaient régulièrement comment on devenait écrivain. Que pourrais-tu leur répondre ? Quels conseils pourrais-tu leur donner ?
FR : Sur cette question, je vais répondre de façon très succincte et peut-être un peu vulgaire : Poser ses fesses derrière son ordinateur puis écrire les 3 premières phrases. Après, le reste vient naturellement et n’est que travail, travail et travail.
Désolé pour l’abus de langage car en fait, non, ce n’est pas du travail ! On devient écrivain quand on en arrive à détester ce qu’on a écrit. Au début, on se dit que notre production est nulle (et c’est vrai) puis à force de bosser on se dit que ce n’est pas si mal que ça. Là est le piège dans lequel beaucoup tombent !
Tant qu’on aime ce que l’on a produit, alors on n’est pas écrivain. Il faut apprendre à être écœuré par nos écrits, mais à les accepter. Ce moment venu, alors vous tenez enfin votre livre entre les mains.
Nul, pas trop mal, génial, écœurant… Si vous atteignez cette quatrième étape, celle du dégoût, alors ça vaut le coup de faire lire vos bafouilles par autrui. Si vous en êtes à l’une des trois étapes précédentes, gardez votre truc pour vous et cravachez pour le détester.
Si vous saviez à quel point j’écrirais différemment les 3 premiers tomes des Odysséens à présent. Mais ils sont comme ils sont et j’aime les détester… Et je déteste les aimer.
Pour moi, là réside le secret : S’y mettre puis bosser jusqu’à être fier de soi pour enfin se dire qu’on a écrit quelque chose de grotesque. À ce moment, on y est.
Je n’ai pas la science infuse. C’est juste mon opinion.
Mais je n’envoie mes chapitres aux relecteurs que lorsque je ne supporte plus de les lire.
ED : Ta saga est intriquée de manière intime avec Arthur C. Clarke, Isaac Asimov et leurs œuvres. Au-delà du fait que tu écris de la SF et de ton parcours antérieur avec Cybedroid ou Caliban, on sent que la SF fait partie de toi, que c’est beaucoup plus qu’un simple loisir. Parle-nous de ces influences. Comment nourrissent-elles ton imaginaire et ta vie ? Quels liens entretiennent-elles avec les Odysséens?
FR : Mon premier contact avec la Science-fiction remonte à lorsque j’avais 11 ou 12 ans et venais d’entrer au collège. Avec des résultats scolaires franchement très loin d’être bons, mes parents n’étaient pas du tout contents de sorte que la console, la voiture radiocommandée, l’ordinateur…. Tout cela était fini pour moi.
Je m’ennuyais ferme dans ma chambre où, à part un lit, un bureau, le « Bescherelle » et un « Quid », il n’y avait pas grand-chose pour que je puisse m’occuper. Une soir, ma mère est arrivée dans ma chambre et m’a tendu un livre en me disant : « Fabien, je veux que tu fasses quelque chose de tes dix doigts. Lis ce livre ».
Je m’en souviens comme si c’était hier. Elle m’a tendu « Le Renégat » écrit par « Cordell Scotten » et se déroulant dans l’univers d’un énigmatique « Isaac Asimov ».
Plus par dépit qu’autre chose, j’en ai entrepris la lecture.
Trente pages plus tard, j’étais à l’autre bout de galaxie avec tout plein de robots et d’extraterrestres. Ce fut un coup de foudre instantané. Plus que cela même… Une véritable libération !
J’ai alors dévoré tous les romans de l’univers d’Asimov, allant jusqu’à aller acheter, avec mon argent de poche, ceux que ma mère, grande fan de science-fiction parmi les fans de science-fiction, n’avait pas dans sa bibliothèque.
Puis un jour, je devais avoir 16 ou 17 ans, j’ai lu un recueil de nouvelles d’Isaac Asimov et dans lequel, dans la préface qu’Asimov lui-même avait écrit, il racontait son amitié et admiration pour Arthur C. Clarke. Il n’en fallait pas plus pour piquer ma curiosité. Je me suis alors empressé de me procurer la série des « Odyssées de l’espace » mais aussi des « Rama ».
Second coup de foudre.
J’ai alors réussi à trouver une vieille VHS du film…
Je n’oublierai jamais ce visionnage effectué avec un pack de bières pour seule compagnie.
Car c’est ainsi qu’il doit être vu… Même Asimov le disait lui-même.
Je me suis alors dit que ce serait super chouette de lire un bouquin mélangeant leurs univers respectifs. Je suis devenu un lecteur de SF compulsif, mais je ne retrouvais chez aucun autre auteur les plaisirs que j’avais à lire ces deux géants.
Alors, sous le regard bienveillant de mon professeur de français de seconde et première, et bénéficiant de ses conseils avisés, j’ai entamé la rédaction de « La menace » devenu la trilogie « A 2000 années lumières de chez soi ».
Puis, il y’a quelques années, j’ai découvert les romans Peter F. Hamilton et j’ai été fasciné par sa façon de narrer ses intrigues (les intrigues en elles-mêmes n’étaient pas mon truc, mais la façon de les raconter, alors là, pardon, c’est absolument génial) . Du coup, j’ai décidé de réécrire « A 2000 années lumières de chez soi » en essayant d’utiliser la manière avec laquelle Hamilton raconte une histoire. Cela a débouché sur les « Les Odysséens » tels qu’ils sont aujourd’hui.
Je tiens à préciser que je ne cherche en aucun cas à copier ces grands auteurs, j’en serais bien incapable. Je désire juste leur rendre hommage à travers une intrigue qui est la mienne.
J’espère y réussir.
ED : Une inquiétude récurrente chez les amateurs de sagas tient au fait que l’auteur ne pense pas toujours à la fin de son histoire. Je ne veux pas viser George RR Martin, mais c’est une inquiétude parfois légitime. Qu’en est-il pour les Odysséens ?
FR : Oui, je comprends parfaitement et cette inquiétude est effectivement bien légitime. Et cela, c’est sans même parler des auteurs qui ne prennent pas la peine d’achever leur saga ! En tant que lecteur, j’ai moi-même été victime de ce genre de choses.
« Les Odysséens » possèdent bien une vraie fin, une vraie de vraie, pensée avant même la rédaction des premiers synopsis et premières lignes. En fait, toute l’histoire et les personnages sont au service de ce dénouement que je jubile d’avance de partager avec les lecteurs.
Soyez assurés que je n’écris pas « Les Odysséens » au fil de l’eau. Avant même d’écrire le premier chapitre du premier tome, j’avais rédigé des synopsis détaillés de chaque chapitre de chaque tome.
À la base, ce devait être une trilogie reprenant les grands axes de « A 2000 années lumières de chez soi »… Puis, au fur et à mesure de la rédaction des « Odysséens » j’ai dû revoir mon découpage des synopsis car, à l’évidence, je n’arrivais pas à faire tenir cette histoire en trois livres. C’est la seule concession que j’ai faite à l’intrigue : la redistribuer pour mieux la raconter.
ED : Tu m’amènes naturellement vers une question traditionnelle : As-tu une routine d’écriture ? Travailles-tu avec un plan ou te laisses-tu guider d’abord par ton instinct ?
FR : Aucune, si ce n’est que quand je me mets à écrire, c’est pour 6 heures d’affilé au minimum. Ce peut être de six heures du matin à midi ou encore de 16 heures à 22h ou encore de minuit à 6 heures du matin.
Oui, au bout de six heures d’écriture, je n’arrive plus à me concentrer. Saloperie de corps humain !
J’ai des enfants en garde alternée donc je dois aussi tenir compte de cela et on va dire que, en gros, quand ils sont chez leur mère, « Les Odysséens » deviennent ma priorité en terme de planning et je fais tout pour avoir des journées entières à leur consacrer… Même si parfois je ne fais absolument rien du tout!
En fait si ! Je fais des trucs qui peuvent sembler sans intérêt, mais qui sont hyper importants : je regarde des documentaires sur comment sont fabriquées les lasagnes industrielles ou encore comment sont cultivés les avocats, voire même des émissions telles que « Norbert commis d’office ». Durant ces moments, mon esprit s’évade et c’est là que « Les Odysséens », dans leur forme finale, se modélisent dans mes songes. Puis, sans que je ne sache pourquoi, vient un moment où je lève les fesses de mon canapé, quelle que soit l’heure, pour me mettre devant mon ordinateur et écrire durant 6 heures non-stop.
Il m’arrive aussi de passer une semaine entière à relire les précédents volumes car j’y trouve systématiquement des points qu’il me faut impérativement préciser pour assurer la cohérence entre les tomes.
Pour résumer, aucun rythme d’écriture particulier, si ce n’est que je m’impose de me lever le matin, quelle que soit l’heure à laquelle je me suis couché la veille. Le reste, même si les synopsis sont écrits, se fait à l’impulsion du moment.
Il est à noter que j’écris en musique et cela a pour moi une importance capitale car la musique me permet, enfin je pense, de donner une « couleur » au livre en cours.
Le tome 1 a été écris sur du Daft Punk, le tome 2 sur du Kavinsky, le tome 3 sur du Dua Lipa et le 4… Sur du Amy Winehouse.
Enfin, une fois un chapitre achevé, je le laisse moisir quelques temps sur mon disque dur (entre une semaine et 3 mois) avant de revenir dessus et de le réécrire (ou pas d’ailleurs).
ED : Pour rester dans cette thématique de la méthode de travail, quels logiciels utilises-tu pour écrire ?
FR : Word, tout simplement. Mais aussi Google pour vérifier certains points sur lesquels j’ai des doutes (oui, il y’a une part importante de Hard-SF dans mes romans, et il m’arrive souvent de devoir vérifier que je ne raconte pas n’importe quoi).
ED : On arrive à la fin de cette entrevue. Je suis sûr que nos lecteurs brûlent de connaître tes projets. Alors balance !
FR : Plein, plein, plein.
Ceux qui apprécient mes bafouilles n’en ont pas fini avec moi.
Déjà, achever cette saga… Enfin, je veux dire, cet arc narratif. Lorsque les lecteurs auront pris connaissance de cette fin, alors ils peuvent être assurés qu’une autre saga sortira au même rythme de 2 à 3 livres par ans. En fait, cette autre saga se déroulera dans le même univers, mais avec des personnages différents, à des époques différentes et avec des enjeux différents. Les synopsis détaillés de cette nouvelle saga « conjointe » sont prêts et, d’une certaine façon, il me tarde d’en entamer la rédaction même si cela signifiera que j’en aurais fini avec Miss, Eldor et Lune.
Pour être même tout à fait honnête, le cycle actuel comporte énormément de références à celui qui suivra.
Oui, je pense que ça plaira aux lecteurs car certains des éléments des livres actuels, et qui semblent être là pour meubler un peu, sont en réalité des éléments fondateurs du prochain cycle.
En effet, il y’a bien une vraie fin pour les aventures et enquêtes de Miss, Eldor, Lune ainsi que leurs compagnons… Ce n’est pas pour autant que je n’ai pas d’autres choses à raconter sur cet univers…
Dans un autre registre, je sais que cela va faire gnangnan, mais j’écris une histoire d’amour qui se passe dans notre monde réel. Je pense que cette histoire risque de surprendre les lecteurs, même si c’est tout sauf de la SF. Oui, vous l’avez compris, j’aime bien jouer avec le lecteur. Car en tant que lecteur, j’aime quand un auteur joue avec moi. Ce roman réaliste s’intitule « L’amour dure 6 chapitres ».
J’ai bien d’autres surprises sous le coude mais je risque d’en dire trop. Alors je vous donne juste un indice concernant une de ces autres surprises : Asimov.
Non, je n’en dirai pas plus.
Merci Fabien pour cette entrevue passionnante !
Vous pouvez retrouver les romans de Fabien Raimbault sur Amazon et sur son site internet.
Je vous dis à bientôt pour une nouvelle entrevue. N’hésitez pas à commenter, partager, voire même critiquer (dans la joie et la bonne humeur, toujours) !
Une réflexion sur “En Interview : Fabien Raimbault”