Auteur indé = Auteur raté ?

Encore un titre choc sur une thématique rabattue ! Si c’est ce que vous pensez, je ne peux pas vous donner tort. Mais que voulez-vous, ce débat très franco-français constitue un passage obligé, pour tout auteur.e qui décide de passer du côté obscur. Une sorte de péage de sortie d’autoroute. Ou d’entrée, selon l’angle que l’on utilise.

Voilà comment les choses se présentaient il y a 20 ans, quand je me suis mis en tête de devenir auteur : on écrivait un manuscrit, on le faisait lire à des proches, on le retravaillait, puis on en imprimait dix copies qu’on envoyait par la poste à une première liste de maisons d’éditions. On attendait les réponses (négatives), on récupérait les manuscrits pour les renvoyer à dix autres maisons, etc… En tout cas, c’est comme cela que j’ai procédé pour mon premier manuscrit, quand j’avais 22 ans.

La seule chose qui n’ait pas changé en 20 ans, c’est l’acte d’écriture en lui-même. J’écrivais déjà sur un clavier et ça n’a pas changé (enfin si, je suis passé au Qwerty et j’ai plein de leds de toutes les couleurs sous mes touches). L’intrigue, les personnages, le champ lexical, le vocabulaire, l’orthographe, la grammaire restent la matière première d’une oeuvre littéraire.

Il y a 20 ans, il était si difficile de se faire publier que certains petits malins avaient eu l’idée de proposer un service appelé d’édition à compte d’auteur, qui consistait à faire payer l’auteur en échange de l’impression de son livre. Ces pseudo-éditeurs promettaient souvent un référencement en librairie et un service de correction et de marketing. La réalité est que ces gens-là imprimaient votre livre tel quel, vous imposaient d’en acheter un stock dont aucun libraire ne voulait, puis vous n’aviez plus qu’à le vendre aux tontons – tatas et finalement sur le parvis d’une gare ou dans le métro, ou vous en servir pour caler votre table de salon. Je le sais pour être malheureusement tombé dans ce piège. 22 ans, naïf et trop plein d’idéaux.

En bref, il existait bien peu d’alternatives pour les auteure.s, et les éditeurs le savaient si bien qu’ils négociaient les contrats à la tronçonneuse. L’offre et la demande, les ami.es.

Aujourd’hui, il reste toujours difficile de se faire publier chez un éditeur. La concurrence est plus forte que jamais. Mais le plus déprimant reste qu’une publication n’est en rien une garantie de succès, public ou critique. L’immense majorité des auteur.es ne gagnent pas leur vie avec l’écriture, loin de là. Imaginez que la moyenne de ventes pour un premier roman tourne autour de 350 exemplaires !

La relation auteur.e / éditeur, elle, ne smeble pas avoir vraiment évolué en 20 ans. Beaucoup d’éditeurs acceptent maintenant de recevoir des manuscrits numériques, mais ça a pris du temps. Les droits d’auteurs restent anémiques, autour des 10%, la durée de cession des droits s’étale sur des décennies (un pari sans risque sur votre notoriété future), et l’auteur.e n’a toujours que peu de visibilité sur ce qui se passe autour de son ouvrage (ventes, critiques, marketing, visuels, couverture…). Au point de ressentir l’impression désagréable d’en être dépossédé. Car c’est en réalité ce qui se produit : la collaboration éditoriale revient à abandonner son texte à l’éditeur. Cela ne signifie pas pour autant que ça se passe toujours mal. Beaucoup d’éditeurs travaillent dur pour faire vivre les ouvrages qu’ils signent et pour promouvoir leurs auteur.es, pour un bénéfice commun et profitable aux deux parties. Ceci dit, étant donné le nombre de livres publiés tous les ans, ce bénéfice tient davantage de l’exception que de la règle. Et on dirait quand même qu’une des deux parties se fait toujours marronner le dindon. (non ça ne veut rien dire, mais ça me fait rire)

Voilà les termes d’un contrat éditorial standard chez un éditeur régional, comparable à celui qu’on m’a proposé il y a deux semaines :

  • Premier tirage de 1500 exemplaires.
  • DA de 8%, progressifs à 10% au-delà de 5000 ventes et 12% au-delà de 30 000 exemplaires vendus.
  • Cession des droits pour 20 ans renouvelable (50 pour le numérique)
  • Cession des droits audiovisuels et d’adaptation graphique
  • Cession des droits numériques pour cinquante ans renouvelables
  • Droit moral sur les choix éditoriaux de mise en page, présentation, correction et couverture
  • L’auteur.e ne paie rien, ni les corrections, ni la mise en page, ni la création de couverture, maquette, marketing.
  • L’auteur.e ne décide pas le prix de vente, ni la stratégie éditoriale.

Dans le cadre d’un tel contrat, vous aurez accès aux chiffres de ventes une fois par an, le temps que les libraires aient effectué le retours des invendus. Votre stock invendu sera soldé, et finira au pilon si vous ne l’achetez pas vous même. Vous aurez peut-être accès à des interviews ou des invitations en dédicace ou salons, selon le dynamisme et le carnet d’adresse de votre éditeur.

Pas terrible, hein ?

C’est comme si pour certaines personnes, le monde s’était arrêté. Car un tremblement de terre a eu lieu dans le paysage éditorial. Et pas un petit. Je vous parle du Big one, un truc malade, comme on dit au Québec. Tellement puissant que l’onde de choc ne fait en fait que commencer.

Ce séisme porte un nom en trois lettres : KDP

KDP est le service de publication à la demande d’Amazon. Voilà les conditions qui visent l’auteur.e :

  • Tirage à la demande
  • Aucune cession de droit
  • DA de 30% à 60%
  • L’auteur.e décide entièrement des choix de mise en page, de création de la maquette, de la couverture, des visuels, de la stratégie éditoriale et marketing.
  • Accès aux chiffres de vente en temps réel 24h/24
  • L’auteur.e peut dépublier son livre immédiatement, d’un simple clic.
  • L’auteur.e peut choisir de payer pour des frais de correction, de mise en page, de couverture et de marketing, mais il n’y est pas obligé.

Ça fait réfléchir, pas vrai ? Nonobstant qu’Amazon est Astaroth et Belezébuth réunis et fera pleuvoir du sang sur Terre, mais bizarrement, ce sont surtout les éditeurs qui disent ça.

Moi, ça me donne sacrément chaud.

Comprenez que devenir indépendant n’est donc plus un choix par défaut, réservé aux auteur.es rejeté.es par tous les éditeurs. Plusieurs auteur.es vivent de leur plume avec KDP, bien plus qu’en édition traditionnelle. Et certain.es gagnent même vraiment gros. Et pas en vendant du low content, hein, avec de vrais livres. Mais attention ! Il serait malhonnête de faire croire qu’il suffirait de balancer son manuscrit sur KDP et de se tourner les pouces. Le temps n’est plus celui des pionniers. Le succès de nombreux auteure.s, allant de pair avec celui de la plateforme ont provoqué une hausse de la concurrence et de la qualité. La bonne nouvelle, c’est qu’elle va avec une hausse des lecteurs.

On ne peut que s’en féliciter. Au final, c’est le lecteur qui en sort gagnant, ainsi que toute l’image du secteur. Et les auteur.s aussi. Ça ne plaît pas à tout le monde, pour un tas de raisons plus ou moins raisonnables. Si je ne crois pas qu’Amazon soit plus diabolique qu’un autre, je ne me félicite pas non plus de l’hégémonie grandissante des GAFA et je ne minimise pas le danger qu’elles font peser. Mais d’un autre côté, je ne revends pas des jouets fabriqués en Chine que je fais venir par bateaux, les gars. Je veux juste vendre mes bouquins et être lu. J’ai la chance d’avoir quelques lecteurs et lectrices qui apprécient ce que je fais. Or, il se trouve qu’Amazon propose de meilleures conditions que celles que j’ai connu.

Le milieu indépendant est donc maintenant hautement compétitif. Ce qui signifie que l’ouvrage de l’auteur.e sera perdu dans une masse incroyable d’autres ouvrages à sa sortie et que sans stratégie, il ne se vendra pas, ou mal. Il y a de la place pour tout le monde, oui. Mais il faudra réussir à faire connaître son œuvre, et c’est une autre paire de manches. Rappelons que 60% de DA c’est bien, mais que 0x60, ça fait toujours zéro.

Il faut donc faire des choix, et ce n’est jamais facile, de choisir. (il paraît que nous prenons en moyenne 30 000 décisions par jour, le saviez-vous ?)

Un.e auteur.e peut donc préférer choisir de se tourner vers un éditeur, s’il en a l’opportunité, préférant sacrifier les DA et céder son œuvre pour ne pas s’embêter avec des aspects chronophages qui n’ont que peu de rapports avec la création littéraire, et avoir l’assurance d’être présent sur les rayons des libraires (si on prend le cas d’un éditeur qui fait bien son boulot). Pour quelqu’un qui aime beaucoup son autre job, ou qui cherche la reconnaissance du milieu, ou le prestige davantage que le succès financier, c’est compréhensible.

C’était d’ailleurs mon choix initial, que j’ai poursuivi pendant plusieurs années.

Car c’est un autre aspect de l’indépendance auquel les auteur.es ne pensent pas forcément, qui me semble pourtant crucial : travailler avec un éditeur, c’est devenir le maillon d’un ensemble qui comprend les librairies, les médias, les salons littéraires, les prix littéraires, en bref, se trouver auréolé d’un certain prestige qui flatte l’égo à défaut du portefeuille, qui vous fait vous sentir partie d’un ensemble plus large. En tant qu’indé, en vous ouvrant à une clientèle potentiellement énorme, vous allez tourner sur une scène paradoxalement plus étroite. Les libraires qui acceptent les indés se comptent sur le doigt d’une main. Les journaux ne s’y intéressent pas. Vous ne serez pas invité.es en salon, et vos livres ne gagneront pas de prix. Vous ne ferez pas partie de la confrérie des auteur.es. Ce n’est pas une fatalité en soi, mais il faut en être conscient. Les milieux indé et classique sont étanches l’un à l’autre, si l’on met de côté quelques phénomènes marginaux, et même si quelques initiatives récentes laissent penser que cela peut évoluer. (les indés ont ainsi fait leur entrée à l’occasion d’une table ronde aux dernières imaginales d’Épinal et certain.es auteur.es comme Nathalie Bagadey font beaucoup pour la reconnaissance des indé.es)

Devenir indé est donc un choix à faire en toute connaissance de cause. Cet article ne prétend d’ailleurs en rien être exhaustif (pourtant il est interminable, non ??). Devenir indé, après tout, c’est rejoindre le cercle de plus en plus étendu des autres indé.es, où l’on peut tout aussi bien nouer des liens et tisser des partenariats. Le sujet est vaste et en constante évolution, contrairement à un milieu éditorial qui paraît sclérosé et au bord de l’implosion.

Il serait donc faux d’affirmer que le milieu éditorial est pourri jusqu’à l’os et qu’un auteur n’a rien à gagner à travailler avec une ME. Tout comme il serait faux de penser que devenir indé est facile, qu’on y gagne à tous les coups et que tous les auteur.es vivront de leur plume. Tout comme il est faux de proclamer qu’un.e auteur.e indé est un. auteur.e raté.

Les ME semblent de plus en plus frileuses à prendre des risques, et dans un système de surproduction, voire de saturation éditoriale, on ne mise plus que sur les recettes gagnantes. Ainsi, certains genres sont tout simplement abandonnés (l’horreur par exemple) et presque aucun éditeur n’acceptera votre série ou votre saga de SF en dix tomes. Le choix de l’indépendance s’impose donc parfois de lui-même.

Comme souvent dans la vie, rien n’est tout noir ou tout blanc, il faut interpréter les nuances de gris, car c’est souvent là que se cache la vérité (c’est beau ce que je dis).

J’ai profité des derniers chaos rencontrés dans ma vie pour prendre du recul sur ce que j’avais réalisé jusqu’à présent. Comprendre pourquoi je ressentais un sentiment d’échec malgré de nombreuses publications, un prix littéraire et des commentaires parfois élogieux. Et à l’instant de faire le choix entre signer le contrat proposé par un éditeur ou m’impliquer enfin à fond en tant qu’indé, j’ai préféré la seconde option. J’ai rejeté le contrat dont je vous ai montré un exemple, il y a deux jours de ça. Ça ne signifie pas que je n’irai plus jamais chez un éditeur. Mais pour l’instant, je veux me concentrer sur cette aventure. C’est enthousiasmant, vraiment. À moi de bosser pour que ça marche et que j’atteigne mes objectifs.

En sachant que le succès ou l’échec dépendent également de variables qui nous échappent.


5 réflexions sur “Auteur indé = Auteur raté ?

  1. Analyse intéressante. Mais Amazon, c’est le diable. S’il y avait une plateforme concurrente qui n’oblige pas ses livreurs à pisser dans une bouteille, ça m’intéresserait !

    1. Merci d’être passé Gousse ! Amazon, oui, c’est sûr que tout n’y est pas rose. Mais ce n’est pas le diable non plus. L’impression à la demande, par exemple, ça reste toujours mieux que d’imprimer en avance des milliers d’exemplaires dont beaucoup sont finalement détruits. Et les livres numériques ne nécessitent pas de livreur. 🙂

  2. Salutations, après lecture de ce post je me dis que tu fais de sacrés choix (difficiles ) pour publier tes œuvres… Mike pense que tu pactises avec le diable. On espère pouvoir continuer de te lire sans passer par Cthuluh (Il reparle aussi de la cocçinelle). On est prêts à payer les frais de port !
    Bref hâte de te lire ! A très vite l’ami !

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