Chroniques de la pandémie

« Tu sais, Emmanuel, personne ne pourra jamais vraiment comprendre ce que cette pandémie nous a fait, à nous, les soignants. Il n’y a que les soignants qui comprendront. Moi, je te comprends. Alors prends soin de toi. S’il-te-plaît. »

Ces mots sont venus de ma chef d’unité. Elle me les a adressés après que je lui ai annoncé que je craquais moi aussi, que je n’en pouvais plus, que je jetais l’éponge. Je lui annonçais que je me mettais en arrêt maladie. Burn out, dépression. Je me sentais incapable de reprendre mon poste. Incapable même de vivre. Je me sentais honteux, lâche. J’aurais dû devenir un héros et un ange gardien, mais je n’étais plus qu’un déserteur. Rien ne semblait plus faire aucun sens, ni dans ma profession, ni dans la vie en général. J’avais pourtant tout tenté afin de tenir bon. Pour rester à mon poste, un jour de plus, malgré les insomnies, malgré la peur, malgré mon humeur qui sombrait, malgré les attaques de panique. J’avais changé d’hôpital, je lisais des citations d’athlètes de haut niveau, d’entrepreneurs à succès ou de soldats des forces spéciales, je faisais de mon mieux mieux afin de me conditionner. Mais nous avons tous nos limites.

Pour nous tous, il y aura un avant et un après. La Covid a tracé une ligne de démarcation nette. Le virus m’a impacté physiquement et psychologiquement, il est devenu une part de moi. Il ne me lâche pas et chacune de ses variations marque un rappel douloureux de son pouvoir de nuisance.

Il paraît que les mots ont un pouvoir. En tant qu’écrivain, j’en suis bien entendu convaincu. Ils peuvent blesser. Ils peuvent réparer et soulager. Ils peuvent rendre heureux, faire rire, ou susciter le désir. La pandémie a prouvé qu’ils peuvent convaincre, voire tuer.

En arrivant à Montréal mi-juillet 2019, moi, ma femme et nos deux jeunes enfants nous sentions privilégiés. Des quadra bien nés en train de faire carrière, qui s’offraient la possibilité de laisser ce qu’ils avaient construit pendant dix ans pour le reconstruire ailleurs. Par goût de l’aventure, pour un nouveau défi, pour prouver à nos enfants et à nous-mêmes que c’est possible et que le monde n’a pas de frontières.

Personne ne pouvait imaginer ce qui se passerait à peine six mois plus tard, et qui défigurerait ce monde qu’on croyait connaître. La pandémie fut une catastrophe sanitaire et économique. Au niveau des cellules familiales, elle devint la source de drames terribles, de féminicides, d’abus sur les enfants. Pertes de salaire et d’emplois, violence domestique, alcoolisme, repli sur soi, troubles psychiques. Pour les ados, la pandémie marquait la remise en cause brutale d’un monde déjà déboussolé, la dissolution des quelques repères restants, déjà fragilisés par les crises climatiques, politiques, économiques. Cette pandémie, personne n’en est sorti indemne, personne n’est passé au travers, et nous sommes loin d’en avoir terminé avec elle.

Les soignants moins que quiconque. Ils se sont retrouvés malgré eux sur le devant de la scène, dans le rôle peu enviable du héros de circonstance. Car les soignants ne sont pas des héros. Il a fallu que je craque pour le comprendre. Ce sont des hommes et des femmes comme les autres, avec leurs espoirs, leurs rêves, leurs failles, leurs doutes et leurs limites. Ce sont des professionnels formés et entraînés pour certaines tâches et certaines situations. La pandémie les a obligés à dépasser ces limites, encore et encore. Le grand public pensait peut-être que nous étions préparés à faire face un jour à une situation comme celle-là. Je peux vous le dire : non, nous n’étions pas préparés. Nous aurions pu tenir quelques semaines, voire quelques mois, par la seule force de notre conviction. Mais plusieurs années? Regardez l’état actuel des hôpitaux et la crise de personnel qu’ils traversent, et vous aurez votre réponse.

Je ne connais personne à l’hôpital, pas un seul collègue, que ce soit en France ou au Canada, qui ait sérieusement pensé qu’une épidémie de cette ampleur nous tomberait dessus. Que ce soit possible, oui, cette idée nous a sans doute tous traversé l’esprit un jour, à l’occasion d’un cas particulier ou lors de nos entraînements pour prendre en charge un patient Ebola. Mais nous y pensions comme on pense à quelque chose de flou, qui n’arriverait pas de notre vivant.

Entre la gestion gouvernementale hasardeuse et parfois incohérente (que je ne blâme pas, les gouvernements ont fait comme tout le monde : ce qu’ils pouvaient avec les données dont ils disposaient), la pénurie de matériel, la vétusté de certains hôpitaux, le manque de préparation et surtout, le manque de personnel, autant d’indicateurs qui pointaient dans le rouge depuis trente ans, les capacités de résistance des services de santé ont en réalité été dépassées dès le premier jour. Nous n’avons ensuite fait que ramer contre le courant, de plus en plus fort, mais avec de moins en moins de conviction et d’énergie, en voyant nos équipages se dissoudre au fur et à mesure.

Je souhaite partager avec vous mon expérience personnelle, celle d’un soignant français installé au Québec et devant faire face à de multiples défis. Je vous invite à vivre ces quinze mois de pandémie comme je les ai vécus, en tant qu’infirmier de réanimation, en première ligne, avec l’espoir de réussir, par mes mots, à vous faire comprendre comment certains d’entre nous ont craqué alors que le monde tel que nous le connaissions disparaissait peu à peu, et à vous révéler comment vos hôpitaux ont géré cette catastrophe.

Ce nouveau recueil sortira comme le précédent, en exclusivité Amazon. Je vise une sortie en 2023 et je vous dévoilerai sur ce blog de larges extraits . Je vous invite également à vous abonner à ma newsletter afin de vous tenir informés de mon actualité.

Il y a pire que la mort. C’est de se laisser mourir à l’intérieur alors qu’on est encore en vie.


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