Si vous êtes vous aussi auteur.e, vous possédez certainement de vieux textes dont vous ne savez pas trop quoi faire. Certains de ces écrits ont peut-être été publiés, mais sans succès, ou pas comme vous l’auriez voulu, d’autres ne sont peut-être jamais sortis de votre disque dur, certains ne furent même jamais achevés, mais dans tous le cas, vous jugez qu’ils sont perdus et qu’ils resteront dans cet état pour toujours, anonymes et inconnus.
Ce peut être un choix, mais je vous assure qu’il n’y a aucune fatalité et en fait, j’ai une bonne nouvelle pour vous : ces fichiers que vous regardez avec tristesse, mépris ou indifférence sont en réalité une mine d’or potentielle !

Si vous me suivez sur les réseaux sociaux ou sur ma newsletter, vous savez que mon prochain roman, un polar très noir et dystopique intitulé Le dernier western, est parti chez mon correcteur et sortira en septembre. Figurez-vous que ce roman, bien qu’inédit, revient de très loin. Il s’agit en fait de la réécriture d’un texte dont le premier jet fut lancé il y a un peu moins de vingt ans ! Autant vous dire que beaucoup de choses ont changé depuis, que ce soit dans ma vie, dans mon expérience d’écrivain, ou dans le monde en général. Avant que je ne me décide à en faire un roman, ce premier jet resta longtemps en friche. La première mouture était axée sur les producteurs criminels d’une émission de TV réalité hardcore dont les protagonistes étaient des tueurs en série. Ce manuscrit fut rejeté par tous les éditeurs contactés, et je m’amusais depuis lors à le reprendre régulièrement, à modifier quelques petits trucs à droite à gauche, ajouter un chapitre ici, en enlever un là. Honnêtement, j’ai perdu le compte du nombre de changements plus ou moins importants apportés au fil du temps, mais il y en a eu beaucoup. J’ai retenté ma chance plusieurs fois auprès d’éditeurs plus ou moins renommés, sans plus de succès, et j’ai alors découvert Createspace. Createspace fut créé en 2000 (sous le nom Booksurge) et racheté en 2005 par Amazon. Le nom ne vous dit peut-être rien, mais il fut rattaché en 2018 à un service autrement plus connu : KDP. Hé oui, on peut donc dire que je ne suis pas nouveau dans le POD (print on demand), puisque cette vénérable version du dernier western sortit en août 2013, il y a 9 ans. Avec le recul, je dois dire que j’aurais pu persévérer avec Createspace. Quand je vois les résultats des auteurs établis sur cette plateforme, j’ai un peu le sentiment d’avoir raté le wagon, mais j’avais fait le choix de devenir un auteur publié à compte d’auteur, pour tout un tas de raisons. C’est comme ça, on ne va pas réécrire le passé. Bref, cette expérience m’avait permis de prendre en main le système (KDP est mieux foutu et offre davantage de fonctionnalités, mais dans les grandes lignes, c’est un peu pareil que Createpsace) à défaut de mettre dans le mille. D’août 2013 à avril 2014, date à laquelle j’ai décidé de suspendre son exploitation, ce roman m’a rapporté la coquette somme de 50,98 euros.
Ne voyant pas comment améliorer mes ventes et constatant que le roman sombrait dans les classements, j’avais décidé de le retirer en attendant de voir ce que j’en ferai. Il a alors végété sur mon disque dur. J’avais de toute façon d’autres priorités à gérer et d’autres projets littéraires autrement plus stimulants.
Je n’ai pas laissé tomber ce bouquin pour autant. Un livre évolue en même temps que son auteur, et ce qu’on pourrait considérer comme un échec – un refus de publication par une maison d’édition ou un faible nombre de ventes – peut tout aussi bien être vu comme une opportunité. Une chance d’améliorer son manuscrit, de comprendre ce qui ne fonctionne pas, ce qui pourrait mieux fonctionner.
Bernard Werber a débuté l’écriture des fourmis à l’âge de seize ans, au rythme d’une écriture de quatre heures et demie par jour. Il a mis près de douze ans à le terminer, réécrit dix-huit fois son roman avant de l’envoyer à une maison d’édition, avec au total près d’une centaine de versions.
(wikipedia)
On pense ce qu’on veut Bernard werber et de ses livres, mais force est de constater qu’il a atteint son objectif avec Les fourmis. Je pourrais également citer mon ami auteur Fabien Raimbault, dont la saga Les odysséens cartonne, mais dont il avait jeté les premières bases il y a plus de vingt ans ! (retrouvez son interview ici : https://emmanueldelporte.org/2022/05/14/en-interview-fabien-raimbault/)
Si en plus d’être auteur.e, vous êtes indépendant.e, alors j’ai encore une meilleure nouvelle pour vous : La réécriture se marie parfaitement avec KDP ! Avec KDP, votre manuscrit n’est gravé dans le marbre que si vous le décidez. Vous pouvez tout à fait le dépublier, changer le titre, modifier l’intrigue et la couverture, et le relancer pour lui offrir une nouvelle existence. C’est ce qu’a réalisé par exemple l’autrice Joanna Penn, avec succès. En modifiant le titre de son ouvrage Career Change: Stop hating your job, discover what you really want to do with your life, and start doing it ! ainsi que la couverture, elle a fait exploser ses ventes.
J’aime l’idée que rien ne soit jamais figé, perdu, et que vous puissiez toujours tenter quelque chose de nouveau. L’échec n’est pas une fin en soi. Considérez-le comme une étape.
Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux.
Samuel Beckett

Lorsque je courais après les maisons d’édiiton, j’ai écrit. Beaucoup. Je parle d’une dizaine de romans et d’une cinquantaine de nouvelles. En prenant la décision de me lancer comme auteur indépendant, j’ai pu prendre le temps de faire une liste de ces textes et d’estimer leur potentiel artistique et commercial. Certains sont encore sous contrat éditorial et sont donc bloqués. Ce n’est pas grave, j’en ai beaucoup d’autres qui ne demandent qu’à obtenir une seconde chance, un nouveau souffle. J’ai fait une croix sur certains titres, parce que trop ceci, pas assez cela, mais surtout parce qu’ils ne déclenchent pas d’envie. Selon moi, ce doit être le moteur numéro 1. Si ce que j’écris m’excite moins que ce que je peux trouver dans ma bibliothèque, sur Steam, Netflix ou en Blu ray, c’est que ça n’en vaut pas la peine.
Le débat de “faut-il persévérer sur un manuscrit ou laisser tomber” est toujours vif, intéressant, passionné, et ne peut offrir aucune réponse binaire. Vous pouvez trouver de très bons articles sur cette prise de tête sur le blog de l’autrice Léa Herbreteau, de Marièke, ou sur la plume de Nox.
Le dernier western s’est retrouvé en tête de liste de mes projets, pour plusieurs raisons :
- J’aime la symbolique. Resortir sur KDP ma première expérience d’impression à la demande constitue un beau moyen de boucler la boucle.
- Ce roman possédait d’indéniables qualités et un vrai potentiel commercial, même dans sa première version.
- Me pencher sur cette histoire et la retravailler me faisait envie.
- Je me suis pris d’affection pour mes deux personnages principaux, Cole et Lucy Travis, à un point déraisonnable. Quand tu penses à tes personnages comme à des êtres réels, c’est que tu es parti trop loin pour espérer faire demi-tour. Sans blague, je les porte depuis si longtemps en moi que j’ai décidé de leur rendre justice, en leur offrant la chance d’exister à nouveau. Parce que je les aime, malgré leurs défauts (ou à cause d’eux) !
- Je déteste perdre et ne pas mener un projet à son terme. Quand je ne termine pas quelque chose, ça me hante, et une partie de moi me torture pour que j’y retourne.
- J’aime les défis !

Alors, est-ce plus facile de partir d’une page blanche ou d’un bloc de 400 000 signes (ou plus) ? Déjà, rien n’est facile quand on parle d’écrire un roman, et ceux qui vous disent l’inverse sont des menteurs. C’est le plus souvent une galère sans nom. Pourtant, la page blanche me semble plus facile. Reprendre un roman s’apparente à un exercice de voltige intellectuelle susceptible de vous donner migraines, nuits blanches, sueurs froides. Changer un paragraphe implique parfois de modifier plusieurs chapitres, eux-même amenant à modifier plusieurs parties, etc… Un roman ressemble à un chateau de cartes et tout peut s’écrouler dès qu’on y touche. On ne va pas se mentir, ce peut être décourageant. Le dernier western n’a pas subi que des corrections d’ordre cosmétique : il s’agit en réalité d’un nouveau roman. Il m’est apparu en relisant le texte original que j’étais passé à côté du véritable sujet. Je l’avais écrit en le centrant sur le groupe criminel qui organise l’émission de TV réalité, alors que le coeur du récit m’a sauté aux yeux comme étant la relation entre Cole Travis et sa fille Lucy. J’ai réalisé que l’histoire est celle d’un père qui cherche sa fille, et que le reste n’est que le décor dans lequel ce récit se déroule. C’est le recul et l’expérience qui m’ont permis de voir cela. Ce changement de paradigme m’a évidemment obligé à revoir l’ensemble du livre. Il a fallu modifier l’intrigue en profondeur, la plupart des personnages, supprimer de nombreux chapitres, en écrire de nouveaux, revoir une quantité de détails et traquer les incohérences. Sans même parler du style. Celui de la première version m’est apparu beaucoup trop sophistiqué, comme si je cherchais à tout prix à prouver que j’étais un écrivain. À l’époque, je lisais beaucoup de James Ellroy et son style unique dépeignait clairement sur ma manière d’écrire. Sauf que je ne suis pas James Ellroy, et ça tombait à plat. Il a donc fallu harmoniser l’ensemble, et au final chacune des phrases a bénéficié d’une retouche. Réécrire un ancien texte, c’est aussi se confronter au passé, à soi-même, à ce qu’on était. Ce n’est pas anodin.
Vous l’aurez compris, cette réécriture a représenté un véritable challenge. Est-ce que ce fut stimulant ? Oui. Est-ce que ce fut facile ? Non. Est-ce que ce fut intéressant ? Cent fois oui. La question, maintenant, sera : Est-ce que ça valait le coup ? Tout dépendra de l’accueil des lecteurs. Comme à chaque nouvelle sortie, je suis à la fois stressé et excité. Mais quoi qu’il arrive, je m’efforce de garder à l’esprit qu’écrire n’est jamais vain, même si on ne comprend pas toujours la finalité, même si on se demande parfois pourquoi on continue, même si les échecs – ou ce que l’on considère comme tel – sont durs à encaisser. Écrire constitue la plus fabuleuse expérience qui soit, et si l’aventure sombre et violente de Cole et Lucy Travis parvient à toucher quelques lecteurs et lectrices, j’aurais la satisfaction du devoir accompli, et je pourrais dire que oui, ça en valait la peine.
À l’occasion de la sortie du Bazar des mauvais rêves, un recueil de nouvelles dans lequel figurent certains textes déjà publiés, Stephen King écrivait ceci en introduction. Je vous laisse le méditer :
Certaines de ces nouvelles ont déjà fait l’objet d’une publication, mais cela ne signifie pas qu’elles étaient achevées pour autant, ni même qu’elles le sont maintenant. Jusqu’à la retraite, ou la mort d’un écrivain, son travail n’est pas terminé.
Stephen King