Auteur, un métier précaire – De la difficulté de concilier deux boulots, et tout ce qui va avec.

Tout écrivain confirmé ou débutant sera un jour confronté à cette question : écrire est-il un métier ? Si oui, comment mesurer le salaire que ce métier devrait offrir ? Les réponses à ces deux questions ne sont pas si évidentes. Devrait-on payer un auteur sur un barême quantitatif ? En fonction du nombre de pages, de mots, voire de signes (ce qui serait sans doute plus juste pour un tel type de barême) qu’il écrit ? Faudrait-il plutôt privilégier la qualité de ses écrits ? Mais selon quels critères mesurer celle-ci ? Est-ce seulement faisable, en vérité ? D’ailleurs, la qualité d’un texte est-elle mesurable de manière objective, et cette évaluation ne risquerait-elle pas de fluctuer avec le temps ?

Telle est la question

Ces critères étant compliqués à mesurer, et puisque nous vivons dans une société consumériste, tout le monde semble s’être mis d’accord sur le fait que l’auteur devrait être rémunéré selon le nombre de ses ventes. On lui file un pourcentage, et voilà, tout le monde est content ! S’il vend beaucoup, il gagne beaucoup, s’il vend peu, il gagne peu. De loin, on dirait presque une bonne idée, qui reflèterait avec justesse la réussite d’un auteur. En vérité, c’est un système injuste et inégal qui récompense en premier lieu les poids-lourds marketing ou les chouchous des médias – qui sont en général les mêmes, ce qui est logique puisque la plupart des grands groupes à qui appartiennent journaux et magazines détiennent également les maisons d’édition. Exemple : Le groupe Lagardère possède Stock, Fayard, Calman-Lévy, Le livre de poche ET Paris Match, Le journal du dimanche, Elle, RFM, europe 1. La partie est truquée !

Dans le système capitaliste, plus tu gagnes et plus tu gagnes

Il peut arriver qu’un écrivain tire son épingle du jeu par son talent et son travail, c’est vrai. Mais quand on considère que vendre 2000 exemplaires constitue un succès, en sachant que l’auteur touche environ 10% sur chaque exemplaire (la moyenne est en fait de 7.2% selon ce baromètre), pour un livre vendu 20 euros, il aura donc gagné 4000 euros pour son best-seller. Une fortune à laquelle l’éditeur devra déduire les taxes, soit dit en passant. Donné comme ça, cce chiffre semble formidable. Objectivement, si vous connaissez la charge de travail exigée par la publication d’un roman, c’est peu. Très peu. Trop peu pour espérer en vivre. Comme argent de poche, on peut dire que c’est bien. Mais franchement, il existe aujourd’hui des dizaines de stratégies pour gagner des revenus passifs en fournissant beaucoup moins d’efforts qu’écrire un roman ! Il restera donc à l’auteur la gloire, la satisfaction d’être entré dans le cercle des auteurs à succès et la reconnaissance du milieu.

Ce constat m’amène à vous faire part de la réalité : la majorité des écrivains ne vivent pas de leur plume . Il y aurait plus de 100 000 auteurs en France et 90% toucheraient moins que le SMIC. Oui, certains tirent leur épingle du jeu, et oui, je suis persuadé que l’indépendance reste le meilleur moyen de parvenir à cet objectif. Mais il ne faut pas se voiler la face, et plus tôt vous accepterez que ce sera dur et qu’il faudra concilier deux jobs, plus tôt pour pourrez mettre en place des stratégies d’adaptation.

Voilà un autre article très intéressant sur le sujet : https://elomire.wordpress.com/2019/03/16/la-double-vie-des-ecrivains-le-monde/

Si je vous parle de cela, c’est parce que je fais actuellement le point sur mes carrières et que je me trouve bien embêté. J’ai le sentiment que le job qui m’a permis de vivre, infirmier, m’a ôté de l’énergie et des ressources pour écrire, et que j’aurais peut-être davantage percé si je m’étais investi davantage dans cette seule activité. Mais j’ai en parallèle l’impression que le fait d’écrire autant (et j’inclus dedans tout ce qui va avec : recherche d’éditeurs, autoformations diverses sur l’orthographe, les outils informatiques, le marketing digital etc…) m’a ôté plusieurs opportunités dans ma carrière hospitalière. Ainsi, j’avais fait le choix de travailler de nuit pendant de nombreuses années, ce qui me dégageait du temps libre en journée pour écrire. Si le résultat fut correct en terme qualitatif (si j’en crois les retours de lecteurs), il ne l’a pas du tout été en terme de revenus. Au niveau hospitalier, travailler de nuit sans chercher à me former ou à m’impliquer dans ma carrière au-delà des tâches quotidiennes m’a évidemment impacté et m’a fermé des portes. Tout est une question de choix, et chaque choix est un renoncement.

Mener en parallèle deux jobs qui n’ont rien en commun n’est pas une stratégie que je peux recommander. Beaucoup d’auteurs sont également journalistes ou traducteurs et leurs deux métiers se concilient plutôt bien – même si la problématique de fond reste identique et que la fatigue mentale reste présente. Ce que j’apprends avec l’écriture ne m’est d’aucun intérêt à l’hôpital, et l’inverse est vrai. Ok, cela m’a permis d’écrire Les chroniques de la réanimation. Un bon bouquin, peut-être, mais tout ça pour ça ! (Je parle en terme de revenus. Désolé d’être terre-à-terre, mais je ne vis pas d’amour et d’eau fraîche). Vous ne pourrez pas à la fois chercher à monter les échelons dans un job et dans l’autre. Il faudra choisir une priorité, et c’est là que mon problème réside. J’ai du mal à me contenter d’un job alimentaire, un bullshit job comme il en existe tant. Le genre de boulot pas fatiguant, où personne ne regarde par-dessus votre épaule et où on ne vous demande pas vraiment de résultats. J’ai besoin de me sentir utile et de faire quelque chose qui a du sens. À notre époque, c’est plus une malédiction qu’autre chose. Mais il est bien difficile de s’investir dans des formations pour évoluer quand vous faites déjà des MOOC, par exemple sur le SEO afin de booster votre site internet destiné à mettre en avant votre carrière d’écrivain ! Il est bien difficile de dépenser de l’énergie quand vous êtes sur trois bouquins à la fois et que vous gérez votre micro entreprise de production de livres et votre stratégie marketing. Le risque, c’est de tout faire de travers et de saboter vos deux carrières, tout en vous épuisant physiquement et psychologiquement. Ajoutez à cela la VIE, peut-être des enfants, et vous verrez vite que même en étant en bonne santé, tout va devenir compliqué. La santé, parlons-en. Si vous croyez pouvoir travailler de nuit, de jour, et vous efforcer d’être un conjoint disponible et parent à la hauteur, tout en gardant le sourire en permanence sans y laisser des plumes, vous allez au-devant de grandes désillusions. Je l’ai appris en payant le prix fort.

Si je mets la VIE en lettres capitales, c’est parce qu’on ne devrait jamais perdre de vue que c’est d’abord ce qui compte. Le temps file vite, très vite. À courir après ses rêves, on peut fort bien passer à côté de tout ce qui compte. C’est pour ça que je ne lis plus les bouquins de développement personnel ou les grandes réussites d’entrepreneurs à succès. Toutes ces success stories qui vous incitent à toujours vous battre pour vos rêves, à aller au bout de vous-mêmes, voire à vous dépasser, qu’il faut persévérer, que l’échec n’est qu’une étape vers la réussite, que tout est possible, que l’impossible n’existe pas, etc. Des textes qui visent à vous persuader que votre réussite ne dépend que de la somme de vos efforts et de votre résilience. Je vais vous dire : autant avaler un flacon de mort aux rats. Ces idées sont toxiques. Ce qui devrait rester votre priorité numéro 1, c’est la VIE. Regardez tout ce qui prétend le contraire avec beaucoup de recul.

De manière concrète, que faire pour résoudre l’impossible équation de ce métier qui ne dit pas son nom? Je n’ai malheureusement que peu de pistes, comme vous l’avez compris. Si je devais tout de même vous donner un conseil, ce serait de vous laisser une chance. De vous fixer des objectifs et du temps pour les atteindre. Mais pas du temps illimité. Comme dans (presque) n’importe quel boulot, vous fixer une obligation de résultats. Les contraintes, de manière paradoxale, peuvent se révéler de merveilleux accélérateurs. Se jeter dans le vide se révèle même parfois le meilleur moyen d’apprendre à voler. Mais je ne conseillerais à personne de lâcher son job alimentaire pour se consacrer à l’écriture, car à mes yeux, cela revient à sauter d’un avion sans parachute. Si vous avez la possibilité de ne faire qu’écrire (vous avez une rente, vous avez investi judicieusement, vous touchez un revenu régulier d’une quelconque manière) : foncez et savourez votre chance ! Sinon, ce n’est pas une malédiction. Il vous faudra apprendre à mesurer vos objectifs et devenir patient. Développez-vous à votre rythme, tentez de conjuguer au mieux vos deux vies. C’est difficile. Mais si vous êtes indé, au moins, vous pouvez fixer vous-mêmes vos délais. Il existe en outre aujourd’hui de nombreux outils destinés à vous aider dans votre emploi du temps. Ça ne conviendra pas à tout le monde, mais ils ont le mérite d’exister et d’être accessibles.

Pour terminer cet article, qui je l’espère, ne vous a pas trop déprimé, j’aimerais vous faire part d’un fantasme. Il m’arrive d’imaginer le monde tel que je voudrais qu’il soit et je me pose souvent la question du travail. Dans ce monde fantasmé, tout le monde recevrait le même salaire. Ce ne serait pas vraiment un salaire d’ailleurs, plutôt un revenu universel généralisé (une idée qui fait lentement son chemin). Le concept sous-jacent, c’est qu’on ne serait pas payés en fonction de notre métier, mais pour faire partie de la société humaine. En contrepartie, chacun aurait un compte temps à dépenser pour des activités d’intérêt général. Par exemple, trois heures par jour à dépenser comme vous le voulez et en fonction des besoins, selon vos compétences et formations : un chantier d’électricité ou de plomberie, une étude en ingénierie pour la création d’un nouveau pont, des soins infirmiers, une consultation médicale, etc… Les bullshit jobs n’existeraient plus. On ne travaillerait plus pour atteindre des promotions, satisfaire un chefaillon ou passer des échelons, mais pour l’intérêt de tous. Dans ce monde, les écrivains ne souffriraient d’aucune angoisse matérielle puisqu’ils seraient assurés d’être payés. Leurs ouvrages seraient reconnus d’office comme d’utilité publique. Ce serait évidemment la même chose avec les autres formes d’art.

Mais en attendant qu’un tel changement de paradigme survienne (oui, l’imagination est une chose merveilleuse), l’écrivain devra continuer à s’accrocher et à concilier comme il le peut ses différentes obligations. Avec une seule règle : faire de son mieux, et ne pas se reprocher de n’avoir pas pu faire plus.


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