Polar ou thriller ?

À l’approche de la sortie du Dernier western (le 29 septembre 2022), je trouvais intéressant de revenir sur cette question que j’entends encore régulièrement : quelle est la différence entre un polar et un thriller ? Qu’est-ce qui les caractérise ? Après tout, on a l’habitude de les voir associés, au point qu’on en oublierait presque que polars et thrillers, bien que partageant certaines caractéristiques, ne sont pas la même chose! Cet exercice visera finalement à vous aider à déterminer si ce roman s’adresse à vous et si vous devriez vous le procurer.

Commençons par la base : polar et thriller relèvent tous deux du genre policier. (Mr Lapalisse, merci) Ces deux types de récit relatent donc un crime. Peu importe la nature de celui-ci, ce peut-être un meurtre (ou plusieurs), un braquage de banque, du chantage, un enlèvement, etc… Il en existe un nombre faramineux de sous-genres du roman policier et vous entendrez parler de techno-thrillers, de thrillers financiers ou judicaires (dont John Grisham est le plus célèbre représentant), de polars noirs ou politiques, bref, restons-en la pour la liste d’épicerie. Je vous renvoie vers mon article écrivain indé = écrivain de niche si la question des genres vous intéresse.

Que ce soit dans le polar ou le thriller, il y a en tout cas un crime, un criminel et quelqu’un qui s’oppose à lui. Dans les deux cas, le récit va dévoiler la lutte que le protagoniste et l’antagoniste vont se livrer. Je reste volontairement assez vague, car ces genres ont tellement évolué qu’une définition plus resserrée ne ferait aucun sens. Dans le polar ou le thriller moderne, les notions de bien et de mal deviennent volontiers ambiguës et le sens de la justice n’appartient plus nécessairement au représentant de la loi. Celle-ci peut d’ailleurs être corrompue, dégradée, et servir des puissants qui n’ont rien d’innocent. Dans le polar cependant, le héros sera le plus souvent un personnage situé du bon côté de la loi et du système : policier, procureur, avocat, journaliste… Alors que dans un thriller, nous quittons souvent le champ de l’enquête traditionnel. N’importe qui ou presque peut devenir la cible d’un maniaque. Ce choix suit un but narratif bien précis : augmenter le processus d’identification du lecteur afin de le faire trembler davantage. Une lectrice adolescente aura plus de mal à s’identifier à un policier alcoolique de San Francisco qu’à… une autre adolescente.

La différence essentielle entre ces deux genres va donc se faire sur le traitement du récit et le point de vue que l’auteur va choisir pour raconter son histoire criminelle. Dans un polar, le lecteur va suivre l’enquête, la récolte d’indices, sera placé dans la peau du détective et bénéficiera du même niveau d’informations que lui. Ce peut être avec l’objectif d’impliquer le lecteur dans la résolution du crime et de tout miser sur le dénouement, à la manière d’Agatha Christie, ce qui nous place alors dans le roman policier pur et dur. En général, le personnage principal du roman policier est très détaillé et l’on en apprend beaucoup sur sa psychologie ou ses habitudes de vie (comme Harry Bosch, le détective de Michael Connelly dont on connaît le fauteuil où il dort dans ses moindres détails), alors que les autres personnages restent plus flous. Mais l’objectif de l’auteur pourrait être de se servir de l’intrigue comme prétexte pour faire le récit d’une époque ou d’un lieu afin de mettre le doigt sur une question de société, ou en tout cas dépeindre une communauté, voire teinter le récit d’une connotation politique. Parmi mes auteurs favoris qui exercent ainsi, je citerai James Lee Burke, Dennis Lehane, Caryl Férey (vous noterez que la frontière avec le thriller est parfois bien mince selon leurs ouvrages).

L’approche du thriller est fondamentalement différente de celle du polar. To thrill = Frémir. Le but de l’auteur de thriller est d’abord de créer du suspense et de la tension en usant de rebondissements, de cliffhangers et d’effets spectaculaires (scary jumps). Prendre le point de vue de la victime se révèle ainsi très efficace (par exemple Avant d’aller dormir de SJ Watson ou Vertige de Franck Thilliez). L’auteur pourra aussi mettre carrément le lecteur à la place du méchant (Au-delà du mal de Shane Stevens, Mr Mercedes de Stephen King), ou pourquoi pas brouiller toutes les pistes (Shutter island de Dennis Lehane). Dans le roman policier pur à la Agatha Christie, l’intrigue est ciselée et ne présente aucune faille. Dans le thriller, l’auteur peut s’autoriser quelques sorties de route au niveau de l’intrigue et de la cohérence si celles-ci favorisent la tension générale. Après tout, le but n’est pas tant de débusquer le coupable (d’autant qu’on sait parfois dès le premier paragraphe de qui il s’agit !) que de trembler pour ses futures victimes ou de découvrir comment il sera arrêté (ou non). Sur la forme, le thriller sera en général rythmé, usera de chapitres courts, de descriptions brèves et ne s’embarassera pas à dépeindre dans le détail le cadre social du récit.

Voici déjà plusieurs années que sous l’impulsion d’auteurs talentueux et prolifiques, le polar et le thriller ont su quitter la quasi clandestinité pour obtenir leurs lettres de noblesse. Contrairement à la Science-fiction, la fantasy ou l’horreur qui sont encore et toujours considérés (du moins en France) comme des sous-genres, polars et thrillers bénéficient d’une exposition médiatique très importante, légitimée par les innombrables prix et salons qui saluent ses auteurs les plus en verve, et qui mène souvent a des adaptations cinématographiques à gros budget. Pour le thriller, on peut dire que le succès considérable de la trilogie de Thomas Harris (et l’adaptation du Silence des agneaux) a marqué un tournant.

Arrivé à ce point de l’article, vous vous demandez peut-être si mon roman Le dernier western relève du polar ou du thriller ? Évidemment, qui dit succès d’un genre dit prolifération des œuvres appartenant à ce genre, et mutations du dit genre. Les frontières tendent ainsi à se brouiller de plus en plus entre le polar et le thriller et Le dernier western n’y échappe pas. J’ai choisi de prendre le point de vue des enquêteurs. Ce choix narratif le classe donc d’emblée comme un polar. Mais étant moi-même friand de sensations fortes, j’ai injecté dans le récit des éléments de thriller. Le personnage de Lucy Travis, adolescente rebelle qui noue une dark romance avec un gangster en devenir, sert ainsi à générer du suspense. La relation conflictuelle avec son père, point central du récit, crée une source de tension et j’espère bien que vous allez trembler pour Lucy. L’enquêteur principal est un personnage borderline qui n’hésite pas à enfreindre la loi pour arriver à ses fins, ce qui le classe davantage vers le polar noir et social que vers le thriller ou le roman policier pur. L’intrigue, elle, sert davantage de prétexte que de fin. J’ai en outre placé mon récit dans un cadre uchronique et dystopique (des notions que de développerai dans de futurs articles) pour de multiples raisons, la principale étant de générer quelques motifs d’incertitude pour le lecteur. Le récit se passe dans une Californie qui ressemble beaucoup à celle que l’on connaît, mais pas tout à fait. Cette simple nuance suffit à créer un certain malaise, tout en aidant la suspension d’incrédulité (une notion essentielle lorsque vous écrivez des fictions). Remettre en cause les certitudes du lecteur le place dans une situation d’inconfort (ce qui ne signifie pas que c’est désagréable !) qui aide à faire monter la tension. Il est intéressant de noter que la toute première mouture du récit relevait davantage du thriller que du polar et que j’ai finalement choisi d’inverser les pôles et donc de tout réécrire. D’après les retours de mes bêta-lecteurs, ce fut une décision plus que judicieuse. Allez savoir pourquoi. J’ai parfois l’impression que les romans décident eux-mêmes du genre qui les caractérise. Par exemple, il est difficile de classer le roman Underground airlines de Ben Winters, ou les enquêtes glauques de Keith Ablow qui mettent en scène un psychiatre barré accroc à la coke.

En conclusion, en quoi est-ce important de déterminer ce genre ? Tout simplement parce qu’en tant qu’auteur, vous devez comprendre à quel type de lecteur vous vous adressez ! Cibler votre lectorat est en réalité une étape essentielle du boulot, je le sais d’autant mieux que je l’ai vraiment négligée par le passé.

Alors, devriez-vous lire Le dernier western ?

  • Je ne conseillerai pas Le dernier western aux aficionados d’Agatha Christie. Vous n’y trouverez pas votre compte et vous sanctionnerez cette déception par une mauvaise note et un mauvais commentaire, qui nuiront à mon ouvrage (et provoqueront une nuit d’insomnie pendant laquelle je ressasserai votre commentaire négatif en me disant que je suis vraiment un mauvais écrivain).
  • Je le conseillerai avec des réserves aux fans purs et dur de thrillers qui recherchent surtout de l’adrénaline. Mes chapitres sont rythmés et plutôt courts et j’ai placé quelques rebondissements et cliffhangers, ainsi que plusieurs scènes à haute tension. Ces éléments plairont aux amateurs de thrillers, mais l’objectif principal de ce livre n’est pas le thrill.
  • Je vous le conseille si vous êtes amateur de polars noirs, dont l’intrigue souligne des problématiques sociales et culturelles (en l’occurence : la ségrégation, la violence, les addictions, les relations père-fille, la société du spectacle), dont les protagonistes sont des personnages faillibles et blessés. Si c’est votre cas, je n’ai qu’un mot pour vous : foncez. Vous avez toutes les raisons d’aimer Le dernier western.

Un auteur heureux est d’abord un auteur qui rend son lectorat heureux.


2 réflexions sur “Polar ou thriller ?

  1. Alors tu vois, c’est marrant, mais je ne lis pas du tout de romans policier d’habitude ! J’ai bien la trilogie “Le cri”, “Complot” et “L’île du Diable”, mais c’est assez rare que j’en lise ! Et je vois que dans ceux que j’apprécie, ça mixe des éléments thriller et polar. D’ailleurs, en lisant ton article, je me disais “Mais… Le dernier western a des éléments thriller… et polar…” (autant dire que j’étais rassurée de constater que je n’étais pas complètement débile quand tu as dis que tu mixais les deux).
    Je n’aime pas quand le rythme n’est pas effréné, je pense. Après, “Le cri” avait son rythme, mais il y avait aussi le côté fantastique que j’ai apprécié. Dans LDW, j’aime bien le côté uchronie/dystopie de la Californie. Ça sort un peu de la “réalité” !
    Du coup je termine en m’adressant aux lecteurs potentiels s’ils lisent mon commentaire. Je ne suis pas une lectrice de polar pur et dur. Mais Le Dernier Western n’est pas juste un polar, il y a des éléments de thriller, un bon gros rythme, de la violence, de l’adrénaline, et une histoire assez touchante entre Lucy et Cole. Pas le temps de s’ennuyer !

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