Après L’assommoir, j’ai enchaîné dans le cycle des Rougon-Macquart avec La bête humaine, tome 17 de la série d’Émile Zola.
Je sais que ne m’y lance pas dans l’ordre, mais moi vous savez, je suis un ouf.
Si je l’ai trouvé un ton en dessous de L’assomoir et d’un rythme parfois un peu trop lent à mon goût, plusieurs aspects du roman m’ont laissé halluciné.
Et la terreur de ses mains les lui fit enfoncer davantage sous son corps, car il les sentait bien qui s’agitaient, révoltées, plus fortes que son vouloir. Est-ce qu’elles allaient cesser de lui appartenir? Des mains qui lui viendraient d’un autre, des mains léguées par quelque ancêtre, au temps où l’homme, dans les bois, étranglait les bêtes!
Ainsi, je ne savais pas qu’un auteur Français du 19ème siècle avait inventé la figure du tueur en série telle qu’on la verrait dans tous les thrillers de la dernière partie du 20ème siècle. Pas plus que je ne savais que cet auteur posait justement les bases du thriller tel qu’on le connaît aujourd’hui (lorsque le tueur est la figure centrale du récit). Qu’il esquissait même les bases du thriller psychologique.
Dès qu’elle semblait se dissiper un peu, elle revenait aussitôt, comme l’ivresse, par grandes ondes redoublées, qui l’emportaient dans leur vertige. Il ne se possédait plus, battait le vide, jeté à toutes les sautes du vent de violence dont il était flagellé, retombant à l’unique besoin d’apaiser la bête hurlante au fond de lui. C’était un besoin physique, immédiat, comme une faim de vengeance, qui lui tordait le corps et qui ne lui laisserait plus aucun repos, tant qu’il ne l’aurait pas satisfaite.
Je ne savais pas non plus que le gore était admis à la Pléïade et qu’un auteur pouvait être considéré comme un immmense classique sans qu’il se soit privé de détailler certains passages qui n’ont rien à envier à certains livres d’horreur actuels. Sauf qu’en plus, sa plume est magnifique, très littéraire, et offre certains passages que l’on relit plusieurs fois pour le plaisir des mots. Même (surtout) si ce sont des mots qui dépeignent une noirceur vertigineuse. Les moeurs et la société dépeintes dans La bête humaine n’ont rien à envier à L’assommoir. Les détracteurs du premier lui reprocheront sans doute les mêmes défauts, trouveront de la complaisance dans cette peinture de la misère et dénoncereont les stéréotypes de l’auteur : les pauvres sont des alcooliques vicieux et brutaux qui se roulent dans la fange. J’y vois, moi, une dénonciation sans fard de l’injustice sociale.
Car c’est surtout un roman qui vous laisse avec un goût sacrément amer, tant la figure humaine dépeinte par Zola se veut sans concession. Jalousies, alcoolisme, violence, meurtres, pulsions. le monde de Zola est brutal, le mal et la misère (morale plus que sociale, tant personne n’est à sauver) sont des maladies héréditaires qui se transmettent de génération en génération.
La famille n’était guère d’aplomb, beaucoup avait une fêlure. Lui, à certaines heures, la sentait bien, cette fêlure héréditaire; non pas qu’il fut d’une santé mauvaise, car l’appréhension et la honte de ses crises l’avaient seules maigri autrefois; mais c’étaient, dans son être, de subites pertes d’équilibre, comme des cassures, des trous par lesquels son moi lui échappait, au milieu d’une sorte de grande fumée qui déformait tout…
La révolution industrielle dépeinte ici dans l’essor du chemin de fer préfigure à coup sûr notre société moderne, où l’hypertechnologie sert de paravent à l’inhumanité des rapports humains. La locomotive peut se comparer à l’alambic de L’assomoir, qui prend une place de plus en plus grande dans le récit, jusqu’à devenir le centre du récit et un personnage quasi vivant, presque surnaturel.
A ce moment, le train passait, dans sa violence d’orage, comme s’il eut tout balayé devant lui (…) C’était comme un grand corps, un être géant couché en travers de la terre, la tête à Paris, les vertèbres tout le long de la ligne, les membres s’élargissant avec les embranchements, les pieds et les mains au Havre et dans les autres villes d’arrivée.
Un roman qui porte bien son titre et qui devrait figurer en très bonne place dans votre bibliothèque. Je vous rappelle d’ailleurs qu’étant dans le domaine public, vous pouvez le trouver en numérique a zéro euro. (ce qui me permets de rappeler que mes romans à moi ne sont certes pas du niveau de Zola, mais qu’ils sont le fruit d’un certaine somme de travail, et qu’ils ne sont pas dans le domaine public, et que ce serait donc sympa de les acheter plutôt que les voler en torrent)