Attention, aujourd’hui, je vais mettre les pieds dans le plat et vous parler d’un sujet sensible. Le genre de sujet qu’on esquive par des sourires gênés ou de fausses quintes de toux, un peu comme quand l’oncle Albert se met à parler de vaccination lors du repas de famille. Sujet tabou, donc, à manier avec des gants, c’est pourquoi je vais y aller à la truelle. Je vais parler de sécurité psychologique, un article qui vous intéressera dans tous les cas, mais plus particulièrement si vous êtes auteur, et encore plus si vous êtes auteur débutant. (cet article est rédigé sans écriture inclusive par commodité)
La sécurité psychologique, qu’est-ce que c’est ? C’est un sujet qui me tient vraiment à coeur depuis que j’ai traversé cinq vagues de Covid en réanimation, et encore plus depuis que je travaille en centre de simulation. Nos étudiants sont particulièrement choyés, on prend soin d’eux, parce qu’on estime que garantir un apprentissage sain aidera à former des professionnels sains. Ce serait beau, un monde dénué de rapports de force et de relations toxiques, où les manipulateurs s’en sortent toujours mieux que les autres, pas vrai ? Ça n’arrivera pas si l’on ne fait rien pour. Garantir la sécurité psychologique m’apparaît de plus en plus comme une clé essentielle pour enfin briser les vieux schémas qui se répètent. Il y aurait beaucoup à dire dessus, mais je vais m’en tenir au sujet du jour et à la réalité pour les écrivains, surtout indépendants (mais les écrivains publiés sont loin d’être à l’abri).
Le terme « sécurité psychologique » a été utilisé pour la première fois par la professeure Amy Edmondson, de la Harvard Business School, qui l’a défini comme « une conviction que personne ne sera puni ou humilié en exprimant ses idées, questions, préoccupations ou erreurs. »
https://globalmindfulsolutions.com/fr/promouvoir-la-securite-psychologique-en-milieu-de-travail/
Le premier problème qui se pose à l’auteur, c’est que son travail est essentiellement solitaire. Vous comprenez facilement que c’est encore plus vrai pour les auteurs indépendants, qui ne bénéficient pas du soutien d’une maison d’édition (ME). Mais c’est vrai aussi dans le cas de maisons d’édition peu ou pas réglo. Dans tous les cas, être face à soi demande une sacrée dose de confiance et d’estime de soi pour faire face aux milliers d’obstacles, déconvenues et critiques qui ne manqueront pas d’égayer le chemin de l’aspirant auteur. Bien souvent, les écrivains sont des êtres très sensibles, voire fragiles (ce n’est pas péjoratif selon moi, même si l’époque veut qu’on soit tous des bad ass invincibles), qui souffrent justement souvent d’un problème d’estime de soi. Il arrive même que ces personnes soient extrêmement dures avec elles-mêmes et deviennent leur propre tourmenteur. (toute ressemblance avec un personnage connu est totalement fortuite)
Alors, faisons le tour des dangers psychologiques auquel s’expose l’écrivain.
- L’échec commercial. C’est le plus évident. Et le plus difficile à définir, aussi. Beaucoup de gens vous soutiennent en vous encourageant à persévérer et à faire quelque chose “qui vous plaît”. Certes, mais être auteur indé, c’est aussi être chef d’entreprise. Vous n’êtes plus seulement un auteur écrivant par passion, plaisir ou besoin vital. L’échec se mesure d’un point de vue financier. Vous fixez des objectifs, vous les atteignez ou non. Si vous ne les atteignez pas, c’est un échec. La bonne nouvelle, c’est qu’en tant qu’indé, votre livre n’est jamais tout à fait mort et pourra toujours être retravaillé pour tenter une renaissance. Mais l’échec, ça fait mal. À l’égo et au moral, bien sûr, mais ça peut aussi faire mal financièrement. Investir dans des corrections, mises en pages, illustrations, services presse, ce n’est pas rien. Selon votre niveau de vie et vos attentes, ce peut être problématique.
- L’échec critique. Il est d’autant plus difficile à vivre qu’il va en général de pair avec un échec commercial (l’inverse n’est pas forcément vrai par contre). Cela n’a rien de drôle de se faire démonter par des inconnus sur les blogs, réseaux sociaux ou sites de ventes. Oui, c’est votre oeuvre qui est jugée, mais la frontière entre l’oeuvre et vous à tendance à devenir très mince en cas de mauvaise critique… Et si vous êtes trop dur avec vous, votre moral risque d’en prendre un coup sérieux.
- La critique assassine. Difficile d’y échapper. Elle combine note ou étoile catastrophique qui dégomme votre moyenne avec une chronique incendiaire, dans laquelle un chevalier des lettres 2.0 caché derrière un pseudo va vous en foutre plein la gueule. Peut provoquer des difficultés d’endormissement, à consommer avec modération.
- La maveillance numérique. Particulièrement présente sur Youtube / Twitch, elle existe aussi chez les auteurs indé. N’importe qui peut vous nuire en vous flanquant une étoile sur Amazon, sans avoir à se justifier. Quelqu’un qui ne vous aime pas, qui vous en veut, ou un concurrent désoeuvré, l’oncle Albert qui s’est engueulé avec vous à propos des vaccins, allez savoir ! Internet, c’est The walking dead. C’est la jungle, la loi du plus fort.
- La solitude. Être auteur indé, c’est être à la fois écrivain, stratège commercial, directeur marketing, rédacteur web, illustrateur, correcteur, DRH, chargé de relations presse et de relations publiques, spécialiste en SEO. La charge de travail et la charge mentale sont très lourdes. Vous découvrirez que vous ne pouvez pas être bon partout. Que d’un point de vue commercial, certaines qualités sont plus profitables que d’autres, et que cet apprentissage peut se révéler douloureux. Vous ferez tout cela seul ou presque, assumant tous les risques de votre projet. Oui, ça pèse, et oui, ça rend les échecs difficiles à encaisser. Et non, votre entourage n’a pas nécessairement conscience de tout ce que vous faites et ne peut pas toujours comprendre la pression que vous vous mettez sur les épaules. Votre entourage peut être votre meilleur allié, pensez-y…
- L’insécurité financière. Le succès n’est jamais garanti. C’est une règle d’or. Le succès critique ne suffit pas à assurer le succès commercial. Vos revenus vont varier d’un mois à l’autre, d’un titre à l’autre, peuvent stagner, voire régresser. Si l’écriture constitue votre activité principale, cette insécurité sera à la fois un motivateur et un empêcheur de procrastriner, mais aussi une source d’angoisse.
- Les chroniqueurs indélicats. Vous aurez à tisser des liens avec des chroniqueurs. Vous allez rencontrer des gens sympas qui partagent vos centres d’intérêt et qui pour certains, vont devenir de fidèles soutiens. Cela vous aidera à sortir de votre solitude et vous offrira de vrais moments sympas. Mais vous allez aussi rencontrer des chroniqueurs qui ne sont là que pour récupérer des livres papier gratuitement, qui ne rendront pas leur chroniques, ou alors qui les bâcleront, voire qui revendront leur exemplaire sur le marché de l’occasion, sans vous en parler. Une pratique que personnellement, je réprouve, et qui fait débat. Ça peut aussi plomber votre moral.
- Les auteurs qui cartonnent. Je ne suis pas quelqu’un de jaloux, et je suis sincèrement heureux pour les auteurs qui réussissent, surtout en tant qu’indé (certains sont mes amis). Mais soyons honnêtes un instant : quand vous êtes en train de boire le bouillon avec votre dernier roman qui ne se vend pas, ça peut faire mal de voir certains chiffres de la concurrence.
- Le cas de l’auteur publié en maison d’édition : il n’est pas à l’abri non plus. On citera en vrac l’opacité des chiffres de ventes, la perte de contrôle sur son manuscrit et sur tout le processus de création et de marketing, le non versement des DA, les concurrents parfois hagneux, voire dans certains cas le harcèlement sexuel. Autant de situations dans lesquelles l’auteur se retrouve trop souvent démuni.
En conclusion, les dangers qui menacent la santé psychologique des auteurs, notamment indépendants, ne sont pas à prendre à la légère. Le burn out, la dépression sont graves et doivent être suivis et traités. Seul face à son écran, l’auteur cherche avant tout à raconter une histoire et espère qu’elle sera lue par le plus grand nombre. Mais il aura tout intérêt à se préparer et à travailler des techniques lui permettant de faire face aux obstacles et déconvenues qui ne manqueront pas de se présenter. Mangez équilibré, faites du sport, limitez l’alcool, dormez le mieux possible, faites de la méditation. Prenez du temps pour vous et vos proches. N’oubliez pas que votre but, c’est d’écrire, pas de devenir un professionnel du marketing, alors apprenez à investir votre temps de la manière qui présente le meilleur ratio bonheur/bénéfices/temps. Le plus important : prenez soin de vous, soyez doux avec vous-mêmes, prenez conscience qu’on ne peut pas tout contrôler. Parlez-vous comme vous parleriez à votre meilleur ami. Si votre meilleur ami sortait un bouquin et que ce bouquin fasse un four, vous ne lui diriez pas que c’est vraiment une merde, et qu’il ferait mieux de tout plaquer, n’est-ce pas ? Vous le consoleriez, vous lui changeriez les idées, et vous lui redonneriez confiance. Vous le feriez se sentir bien. Alors, faites ça pour vous. Tout ira mieux, vous verrez.
Il serait intéressant de mener une étude sur la santé mentale des auteurs indé. Mais souvenez-vous : on est déjà bien occupés…